mardi 18 octobre 2011

Cours de David Halivni sur TB Avodah Zarah 72a

Note: le texte qui suit n'a aucun caractère officiel et est fondé sur les notes de Florian Wolfowicz et le résumé de Yitshaq Reiner que nous remercions. Il ne représente que notre propre tentative de comprendre la sougya à partir du cours de David Halivni.


TB, Avodah Zarah 72a:

ההוא גברא דאמר ליה לחבריה אי מזביננא לה להא ארעא לך מזביננא לה אזל זבנה לאיניש אחרינא

אמר רב יוסף קנה קמא.

אמר ליה אביי: והא לא פסק. ומנא תימרא דכל היכא דלא פסק לא קנה, דתנן: המוכר יינו לעובד כוכבים פסק עד שלא מדד דמיו מותרין מדד עד שלא פסק דמיו אסורין.

מאי הוי עלה [מאי הוי עלה] כדקאמרינן דלמא חומרא דיין נסך שאני.

תא שמע: דאמר רב אידי בר אבין עובדא הוה בי רב חסדא ורב חסדא בי רב הונא ופשטיה מהא דתנן משך חמריו ופועליו והכניסן לתוך ביתו בין פסק עד שלא מדד ובין מדד עד שלא פסק לא קנה ושניהן יכולין לחזור בהן פרקן והכניסן לתוך ביתו פסק עד שלא מדד אין שניהן יכולין לחזור בהן מדד עד שלא פסק שניהן יכולין לחזור בהן.

Un home a dit à son prochain: si je vends ce terrain, je te le vends à toi. Il s'en est allé et l'a vendu à un autre.

Rav Yossef a dit: le premier l'a acquis.

Abaye lui a dit: il n'avait pas arrêté le prix !

Et d'où peux-tu dire que dans le cas où il n'a pas arrêté le prix, il n'est pas acquéreur? De ce qu'on a enseigné (dans la Michnah): si un Juif vend son vin à un païen, s'il a arrêté le prix avant de mesurer, l'achat (en argent) est permis; s'il a mesuré avant d'arrêter le prix, l'achat (en argent) est interdit.

Quelle est la loi à ce sujet ? [Quelle est la loi à ce sujet ? Comment peux-tu demander? ] C'est ce que nous avons dit plus haut. Mais peut-être le cas (plus sévère) du yayin nessekh est différent.

Viens écoute: Rav Idi bar Avin a dit qu'un cas s'est présenté chez Rav Hesda et Rav Hesda l'a envoyé chez Rav Houna qui l'a exposé ainsi, car il a été enseigné: si un homme tire les ânes et les ouvriers d'un autre et les emmène dans sa maison, qu'il ait arrêté le prix avant de mesurer ou qu'il ait mesuré avant d'arrêter le prix, les deux peuvent se rétracter; s'il a déchargé (la marchandise) et l'a emportée dans sa maison, s'il a arrêté le prix avant de mesurer, aucun des deux ne peut se rétracter, s'il a mesuré avant d'arrêter le prix, les deux peuvent se rétracter.

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La sougya débute par l'histoire et un dialogue entre Rav Yossef et Abaye. Le dialogue est historiquement plausible, Rav Yossef étant le maître d'Abaye. Seule la position d'Abaye est justifiée par la Guemara: la Michnah Avodah Zarah 5:7 est citée à l'appui.

Pourtant notre Guemara poursuit en demandant:

מאי הוי עלה

Quelle est la loi à ce sujet ?

Ce qui semble étonnant, vu que la Michnah a déjà été citée. Effectivement, la question est répétée entre crochets dans notre Guemara, cette fois par emphase et étonnement, comme l'indique Rachi.

Puis la Guemara insiste et affirme que peut-être le cas du yayin nessekh est différent, vu sa spécificité. Nous avons alors un enseignement de Rav Idi bar Avin basé sur un cas concret qui n'a rien à voir avec le yayin nessekh et qui justifie l'opinion d'Abaye.

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David Halivni remarque tout d'abord que la justification de l'opinion de Abaye n'est pas énoncée par Abaye lui-même mais est déduite (ou reconstruite): elle est introduite par

ומנא תימרא

que David Halivni explique comme מנא אמינא לה. La justification par la Michnah de la position d'Abaye est donc une reconstruction ou une hypothèse. Cette justification est logiquement plausible dans la mesure où nous voyons que seulement si la fixation du prix précède la mesure (ou le toucher) du vin, la vente (et le fait de recevoir l'argent de la vente) est permise. Mais elle n'est pas d'Abaye et elle fait intervenir le yayin nessekh dans un cas qui a priori n'a rien à voir avec le yayin nessekh.

Il est par conséquent probable, dit David Halivni, que la question

מאי הוי עלה

(qui dans notre Guemara suit la justification) ait été posée avant la justification par la Michnah. Cette question a été posée après la décision légale de Rav Yossef et la réaction de Abayé qui a réagi en soulevant la difficulté (il n'avait pas arrêté le prix). La réponse est alors celle de Rav Idi bar Avin

דאמר רב אידי בר אבין...

qui ne fait aucunement référence aux relations avec les païens et au yayin nessekh, mais est directement liée au cas particulier qui oppose Rav Yossef et Abaye.

Par la suite, celui qui n'a pas vu que la justification par la Michnah est une addition ultérieure à notre texte de la Guemara a lu

מאי הוי עלה

comme nous-mêmes l'avons fait: avec étonnement, puisque la justification par la Michnah précède cette question. Il a donc répété avec étonnement la question et répondu:

[מאי הוי עלה?] כדקאמרינן

Quelle est la loi ? Mais comme nous l'avons dit (plus haut).

Puis pour expliquer le sens de la réponse de Rav Idi bar Avin qui ne fait aucune référence au yayin nessekh, il a ajouté

דלמא חומרא דיין נסך שאני

Peut-être que le cas plus sévère du yayin nessekh est différent.

C'est-à-dire que nous ne pouvons pas nous servir du yayin nessekh (et donc de la Michnah citée) comme preuve de la validité du point de vue d'Abaye. Ce qui introduit en effet les propos de Rav Idi bar Avin.

En conclusion, nous voyons ici une sougya relativement courte dont l'histoire fait intervenir au moins trois générations de sages différentes:

- l'époque de Rav Yossef et de sa décision suite au cas qui est rapporté (et celle d'Abaye[1] qui s'oppose à sa décision),

- la justification par Rav Idi bar Avin du point de vue d'Abaye (sans yayin nessekh)[2]

- l'époque de la justification par la Michnah du point de vue antagoniste d'Abaye (avec la vente de vin à un païen)

- la construction stammaïtique des derniers éléments de la sougya qui articulent les deux justifications différentes (Rav Idi bar Avin et la Michnah) entre elles.



[1] Rav Yossef est un des maîtres de Abaye.

[2] Rav idi bar Avin étant de la même génération que Abaye, il se peut que la première justification en son nom date de l'époque d'Abaye.